Interview
Zeste, par Céline Wagner
Sceneario.com : Bonjour Céline Wagner, et merci de bien vouloir répondre à nos quelques questions ! Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter en quelques mots et rappeler aux scénearionautes votre parcours artistique ?
Céline Wagner : Voyons… Où commence un parcours artistique ? Je crois que je devais avoir cinq ans, je vivais avec ma mère dans un petit appartement de banlieue. J’ai commencé à m’isoler dans la chambre, je peignais mes animaux en plastique et les collais par famille sur des chutes de bois. Bien plus tard, je suis allée à Toulouse étudier le design pendant deux ans.
Sceneario.com : Fallait-il absolument que le premier titre où vous assuriez à la fois le scénario, le dessin et la couleur soit autobiographique, alors qu’on imagine au vu des deux albums* que vous avez déjà publiés en collaboration avec Edmond Baudoin que l’inspiration aurait pu venir d’ailleurs ?
Céline Wagner : Il serait réducteur de citer chaque fois Edmond Baudoin comme le gardien du temple de l’autobiographie. Edmond a lui-même rendu hommage aux centaines d’autoportraits de Rembrandt. Depuis que je suis en âge d’ouvrir un livre de ce genre, en littérature et dans les arts en général, on parle de soi. Mon intérêt se porte sur les oeuvres ayant un pied dans la réalité, qu’elles soient cinématographiques, picturales, musicales… Nous avions avec Edmond des inspirations communes. L’univers de Zeste est tout à fait personnel et les influences y sont multiples.
Sceneario.com : Beaucoup de souvenirs dans Zeste sont assez noirs et pourtant, vous avez choisi de réaliser cette bande dessinée à la peinture, de manière très colorée… Le style de vos planches peut d’ailleurs rappeler celui de la bande dessinée Le secret des lutins, par exemple, sauf que cette BD de Tatiana Domas (aux éditions Petit à Petit) est un conte destiné à la jeunesse ! Des univers donc totalement différents mais mis en images avec une technique similaire… Ce qui me pousse à vous poser la question : avez-vous pensé à d’autres techniques pour Zeste avant de vous décider pour la peinture et en quoi cette technique vous a paru la plus adéquate pour vous exprimer ?
Céline Wagner : Le grand intérêt de la bande dessinée est de raconter en même temps, avec l’écriture et avec le dessin, la même histoire. Le piège serait raconter cette histoire sur le même ton avec ces deux médiums. Ecrire des histoires noires dans un univers coloré, c’est une contrainte interressante. Mes couleurs évoquent celles de l’enfance, c’est peut-être le lot des couleurs vives. Je voulais que les personnages principaux et les « figurants » soient traités d’une manière différente : le couple est en noir et blanc, ils sont ensemble dans un temps révolu ; les autres personnages appartiennent à un contexte toujours d’actualité et factice à la foi. Les couleurs vives appuient ce contraste. Il y a deux propos, l’intimité du couple et leur rapport au monde.
Sceneario.com : Sans pouvoir autant être taxé de déprimant sur la forme, votre épilogue est cependant illustré en bichromie après de nombreuses planches éclatantes de couleurs. Pourquoi ce choix ?
Céline Wagner : Je voulais dresser rapidement le climat dans lequel une histoire de ce genre avait pu voir le jour. Le rapport des garçons et des filles de quinze ans, les HLM… La couleur sépia est un compromis avec le noir et blanc pour évoquer le passé. L’épilogue parle d’une époque antérieure à l’histoire de Zeste. Traiter par le dessin, c’était compléter le travail de la peinture. Ces deux disciplines se répondent.
Sceneario.com : En combien de temps avez-vous réalisé Zeste ? Et… y a-t-il parmi toutes les vignettes de cet album des peintures que vous auriez faites dans un autre objectif mais qui ont fini par y trouver leur place ?
Céline Wagner : J’ai travaillé deux ans sur Zeste. Le réel sujet de ce livre, en terme de devoir artistique (comme si on était à l’école !) est de traduire des émotions. Ce que ne dit pas le texte, l’image essaie de l’expirer. La spontanéité en est un peu la condition. Je ne voulais pas avoir les poings liés à un storyboard et surtout, ne pas me mettre de bâtons dans les roues si une modification s’imposait. J’ai amassé énormément de croquis, de notes, de planches finalisées que je n’ai pas utilisés dans le livre. Il m’est arrivé de me détourner du sujet, de vouloir raconter autre chose en même temps… Dans ce travail accumulé, tout n’était pas à jeter bien entendu, je ne suis donc pas passée à côté de ce qui avait de l’intérêt. En revanche, tout a été peint, écrit, dessiné pour raconter la même histoire. C’est un tout.
Sceneario.com : Beaucoup de tableaux apparaissent dans la BD. Quelles sont vos inspirations artistiques et quels sont vos peintres préférés ?
Céline Wagner : On aperçoit dans Zeste « La Mort qui fume » de Van Gogh, « Le masque » de Frida Kalho, le « Double portrait de Federico Montefeltro et de sa femme Battista Storza » de Piero Della Francesca, un autoportrait de d’Albrecht Dürer ainsi que « La création d’Adam » de Michel-Ange…
Mon intérêt pour les peintres est lié à leur travail, j’apprends avec chacun d’eux. Si j’en préférais un, j’aurais l’impression de négliger les autres.
Sceneario.com : Les textes sont superposés aux images dans la construction des vignettes. Selon vous, ce système ne cache-t-il pas trop les visuels malgré la translucidité des zones où les textes apparaissent ? Et est-ce à dire que vous avez conçu les peintures de Zeste sans anticiper la place que prendrait le texte (ou bien le texte n’a-t-il été élaboré qu’après les graphismes) ?
Céline Wagner : Selon moi, la translucidité cache moins le visuel qu’une surface pleine. Cette dernière aurait créé une rupture trop grande avec l’image. J’ai traité le texte en dehors de l’image car je voulais pouvoir le corriger chaque que cela serait nécessaire. Je savais qu’il y aurait beaucoup de texte et que je devrais "sacrifier" une partie de l’image. Les combinaisons étaient multiples. L’importance que le texte prend dans la case est une des contraintes du récit. J’ai choisi de mettre les caractères en blanc sur fond translucide pour que le dessin continue de vibrer sous les blocs de texte.
Sceneario.com : Comment s’est faite votre rencontre avec votre éditrice ? Le fait que vous soyez deux femmes a-t-il joué sur quoi que ce soit ?
Céline Wagner : J’ai rencontré Marie Moinard lors d’une signature de La Patience du Grand Singe aux Enfants d’Icare à Paris. Elle s’est montrée très enthousiaste à l’égard de ce livre. Quelques mois plus tard, elle a cherché à savoir sur quoi je travaillais et m’a trouvée en pleine construction de Zeste. J’avais déjà une trentaine de planches à lui montrer et elle m’a dit oui tout de suite. C’est allé très vite. Marie est très motivante, c’est de la vitamine C, elle y croit, elle tranche. La complicité féminine est pour moi un atout, elle simplifie les rapports et permet d’aller à l’essentiel !
Sceneario.com : Avoir vu paraître votre premier album chez Dupuis n’a pas empêché votre bibliographie plus récente d’alimenter les catalogues de maisons d’édition beaucoup plus petites. Est-ce par choix ou bien La patience du grand singe et Zeste n’étaient-ils pas « aptes » à figurer chez des « grands » ?
Céline Wagner : Proportionnellement, les « grands » produisent plus de mauvais livres que les petits éditeurs. C’est une des contraintes du marché, il faut s’y faire.
Sceneario.com : Quels sont vos projets après Zeste ?
Céline Wagner : Continuer d’explorer les rapports entre imaginaire et autobiographie en utilisant la peinture dans mes livres. Je travaille sur un projet pour enfants et sur un second récit dans le prolongement de Zeste au niveau de la construction, mais ce ne sera pas la même histoire…
Sceneario.com : Merci, bonne chance à vous pour Zeste, et bonne continuation !
* Les yeux dans le mur. Dupuis, collection Aire Libre. Avec Edmond Baudoin
La patience du grand singe. Editions Tartamudo. Avec Edmond Baudoin