Le prix Artémisia de la bande dessinée féminine s’internationalise. C’est Ulli Lust, auteure autrichienne, qui vient d’être couronnée cette année pour l’album Trop n’est pas assez, (éditions Çà et Là). Elle succède à Joanna Schipper, Tankxxx et Lisa Mandel, et Laureline Mattiussi, respectivement lauréates en 2008, 2009 et 2010.
Après des débats acharnés autour d’un cru d’une qualité remarquable, le jury a couronné Trop n’est pas assez pour ses qualités narratives exceptionnelles, son dessin vigoureux en adéquation avec un propos direct et réaliste. L’odyssée de ces deux punkettes, on the road sans argent ni papiers, vous prend et ne vous lâche plus. Avec ce récit très autobiographique aux épisodes parfois trash, Ulli Lust revisite la jeunesse en désarroi des années 80, ses aspirations libertaires, son insouciance, ses fuites illusoires et son no future face à une réalité souvent sordide. Ce road movie mène l’héroïne et sa copine de Vienne à Palerme, des joies de la débrouille – entrée gratuite à un concert historique des Clash – aux sordides arrangements pour survivre au quotidien.
La lucidité du regard d’Ulli Lust exclut toute complaisance ; elle nous entraîne, sans nostalgie ni jugement dans l’aventure insouciante, parfois irresponsable de ses héroïnes. Au fil des pages et des galères de cette épisode de sa vie revisitée, elle nous fait partager le parcours initiatique éprouvant d’une adolescente à la découverte du monde. Proie facile des machos en tous genres, des junkies viennois aux petites frappes siciliennes, l’héroïne conquiert pourtant la capacité de dire non. Et si la fin préfère le sage retour au bercail à la tragédie, on pressent qu’une femme et une artiste sont nées…
Un grand récit, osé sans voyeurisme, intime sans narcissisme.