Barcelona, âme noire

Tout débute en 1948, le jeune Carlos prend le train avec deux amis, direction Marseille. Dans son wagon, il rencontre Jocelyne qui, sous le charme du jeune espagnol, lui propose de travailler pour elle, dans son épicerie à Perpignan. Avec elle, il va apprendre les subtilités de la contrebande. Cependant, il se souvient de son passé, de Barcelone, son père et le cadavre de sa mère qu’il découvrit dans les décombres de leur commerce, après un énième bombardement. Il ne sait pas encore que son père est secrètement un tueur en série, et que sa mère en a été la première victime. Il revoit Don Alejandro qui l’a pris sous son aile, les sourires de sa fille Paula, son premier véritable amour, et ces années en suspens, protégé par son mentor.
Malgré tout, mal informée, la police le croit coupable des crimes de son père. Dès lors, il devient un fugitif, il rencontre, alors qu’il vient juste de revenir à Barcelone, la belle Eva qui l’embauche dans son cabaret. A partir de là, le jeune homme commence à apprendre les ficelles de son futur « métier » de parrain de la pègre barcelonaise…

Par fredgri, le 2 mars 2024

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Notre avis sur Barcelona, âme noire

Le duo Lapière/Pellejero c’est avant tout les remarquables albums « Un peu de fumée bleue… », « Le tour de valse » et le diptyque « L’impertinence d’un été ». Ils sont de retour avec ce nouvel album, accompagné par Gani Jakupi pour le scénario, Eduard Torrents et Martin Pardo pour le dessin et les couleurs.

Barcelona, âme noire se présente tout de suite comme un brillant travail d’équipe, tant les identités des uns et des autres se mélangent avec adresse et finesse. Nous plongeons alors au cœur d’un récit complexe qui démarre de l’arrivée au pouvoir de Franco en 39, jusqu’à sa mort en 75.
Toutefois, les auteurs ne nous proposent pas de pamphlet politique ou partisan, ni même de réelle leçon d’Histoire. Bien que les scénaristes se servent de ce contexte pour installer le cadre du récit, avec ces histoires de trafics entre la France et l’Espagne, le rôle prépondérant de la police, les combats anti-anarchistes qui parcourent l’album en substance, ou encore les mouvements de grève qui se multiplient… Nous découvrons, avant tout, le parcours d’un homme qui profite, parfois bien involontairement, tout au long de sa vie, des rencontres qui lui permettent de s’en sortir, le plongeant de plus en plus dans des affaires louches qui vont faire de lui le patron de la pègre barcelonaise.

Petit à petit, nous évoluons dans les milieux interlopes de Barcelone, en marge de la grande Histoire, un monde ou tout ne se définit pas seulement par le bien et le mal qui ne sont que des notions réductrices de ce qui se passe réellement. Les plus forts écrasent les plus faibles, sans remord et Carlos n’est que le symbole de ce constat, une sorte de double humain d’une ville meurtrie par les évènements, dont nous suivons l’évolution en parallèle l’un de l’autre.
Il comprend très vite que pour s’en sortir et ne plus subir cette vie, il va devoir jouer le jeu du pouvoir, quitte à devenir tout ce qu’il ne supportait pas lui-même de voir autour de lui, violent et froid…

On suit alors, en substance, le récit d’une ville, d’un pays qui subit de plein fouet la dureté du régime et ses actions répressives, avec ces milliers de disparitions, de morts, et une économie en berne qui précipite la population dans la misère, tandis qu’elle accélère l’émergence du marché noir et la montée de la pègre.

Denis Lapière et Gani Jakupi ne gardent donc pas les « détails » historiques, ni ce qui pourrait soudain faire basculer le récit vers une leçon trop scolaire et trop fidèlement régurgitée. Ils gardent l’angle de la fiction, afin de rythmer leur intrigue de multiples rebondissements qui rendent la lecture passionnante et émouvante. L’écriture est extrêmement fine, sans jamais être vraiment complaisante avec le sujet et les drames que traverse Carlos, meurtri par la vie, mais qui trahit, trompe, tue même à l’occasion. Les scénaristes n’ont pas essayé d’en faire un personnage sympathique, mais profondément humain.

On retrouve cette plume subtile de Denis Lapière, élégamment contrebalancée par le style généreux de Gani Jakupi. On s’immerge pleinement dans cette histoire, on est séduit par la fluidité de la narration, ces sauts entre le passé et le présent, entre les émotions et les soubresauts du récit. Une très belle réussite, magnifiée par le travail graphique du trio Rubén Pellejero, Eduard Torrents et Martin Pardo qui se partagent la tâche, dessinant ici, encrant là, précisant les décors, les expressions… On a parfois du mal à simplement savoir qui a fait quoi.
Malgré tout, c’est surtout le trait de Rubén Pellejero qui ressort le plus, nous donnant l’impression que cet album est peut-être l’un de ses meilleurs travaux. Mais ce mélange graphique reste de toute beauté, un exercice de style qui ne laisse absolument pas indifférent.

Une des belles surprises de ce début d’année. On imaginerait bien une mélodie mélancolique en fond sonore…

Très vivement conseillé.

Par FredGri, le 2 mars 2024

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