BÊTE (LA)
Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou

1955, au port d’Anvers, un bateau vient d’accoster. Il devait livrer des animaux exotiques à un zoo, mais des ennuis mécaniques l’ont immobilisé au Brésil pendant trois semaines, une période qui a été fatale pour de nombreux "passagers" sauvages, seuls quelques fauves et une étrange créature ont pu en réchapper… Cependant, cette dernière réussit à s’enfuir, se perdant dans la pénombre de la ville…
Peu de temps après, elle tombe sur le jeune Franz, qui aime recueillir les animaux blessés ou abandonnés. Le garçon emmène le fuyard chez lui, afin de le requinquer, mais évidemment, l’animal reste sauvage… Toutefois, sa physionomie intrigue, son pelage moucheté, sa queue anormalement longue qui lui sert parfois d’arme… Il se fait vite remarquer…

Par fredgri, le 16 septembre 2020

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Notre avis sur BÊTE (LA) #1 – Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou

Prépublié cet Eté, sous forme de 8 livrets offerts aux abonnés de Spirou, cet album scénarisé par Zidrou et mis en image par Frank Pé nous entraîne dans les traces d’un lointain cousin du Marsupilami, en 1955, dans les rues d’Anvers, cité ouvrière, grise et pauvre qui a encore du mal à panser ses plaies après l’occupation allemande. Le héros, le jeune Franz, que sa mère s’obstine à vouloir appeler François, est de ces enfants, fruits des amours coupables entre occupant et occupé… Son père n’est plus là, il est retourné dans son pays, tandis que sa mère doit dorénavant porter sur elle le regard des autres qui la jugent, la condamnent sans appel, alors que son fils doit essuyer les humiliations infligées par ses camarades de classe, quand bien même son instituteur reste bienveillant et prévenant !

C’est donc dans ce cadre que l’on retrouve ce drôle de "marsupilami" qui vient d’être capturé dans une forêt amazonienne, en même temps que d’autres animaux exotiques, afin d’être revendu en Europe. Malmené par le voyage, il réussit tant bien que mal à s’échapper du bateau qui l’a amené jusque là, mais il a besoin de se refaire "une santé" !

On est assez loin des ambiances bon enfant à la Franquin, ici le contexte est sombre, voir même assez tendu, les couleurs sont majoritairement terreuses et grises, "poussiéreuses" pourrait-on même dire ! On découvre le port d’Anvers, la nuit, la ville est enveloppée dans de larges nuages noirs, il pleut, l’ambiance est pâteuse et boueuse, limite désillusionnée.
Le scénario de Zidrou installe donc lentement une ambiance extrêmement réaliste, dans un contexte sans compromis ou les deux héros doivent s’adapter sans se poser de questions, d’autant qu’on ne leur épargne rien. Le marsupilami n’est qu’un animal sauvage tout juste bon à finir comme attraction dans un zoo, poursuivi de toute part et même si le jeune Franz s’échine à l’aider, à tenter de le secourir, il ne peut vraiment échapper à tout ce qui l’attend, à l’agressivité de ces hommes avides et stupides. De son côté, le garçon met en avant l’esprit revanchard et stigmatisant à l’extrême des rescapés de la guerre qui se sont tournés vers de nouveaux ennemis, plus près d’eux, ceux qui ont pu éventuellement pactiser avec le monstre nazis… On a pu voir les excès que cela a provoqué, avec cette xénophobie exacerbée qui a soudain déferlé de tous les côtés, et tous les amalgames qui vont avec ! N’arrivant pas vraiment à trouver sa place, subissant le mépris des autres écoliers, il reporte ce besoin d’amitié sur les animaux qu’il acceuille, sous le regard de sa mère, elle aussi meurtrie par les insultes des adultes !

"La bête" ne promet donc pas du rêve, mais bel et bien une histoire forte et émouvante qui remue les tripes, la rencontre entre deux êtres qui ont peut-être plus besoin l’un de l’autre qu’ils ne semblent le penser !
Un premier volume qui laisse deviner une suite peut-être plus positive, mais en tout cas riche en rebondissements et en interactions entre les deux protagonistes.

Toujours est-il que pour accompagner cette histoire, Frank Pé livre des planches très impressionnantes, qui renouent avec la virtuosité de Zoo (en un peu plus sec, néanmoins), ses cadrages audacieux, ses textures, son expressivité, l’artiste est au meilleure de sa forme (il suffit de lire en parallèle son album sur Little Nemo, une véritable ode au rêve, à l’imagination…) dans cet album qui lui permet de revenir sur ses thématiques animalières, ses univers personnels !
Une énorme claque qui démontre bien que même s’il se faisait assez rare, Frank Pé reste un maître qui n’a pas fini de nous éblouir !

Un album que je ne saurais assez vous conseiller, déjà un indisensable !

Par FredGri, le 16 septembre 2020

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