Exposition - Salon

Exposition Urasawa – Angoulême 2018

Du 25 au 28 janvier 2018

L’ENFANCE

Proche des portaits doloristes de LA NUIT DU CHASSEUR, la représentation de l’enfance est chez URASAWA un réceptacle brisé dans lequel se trouve la misère la plus profonde.  » Ils endurent, ils résistent », pour reprendre la célèbre phrase du film de CHARLES LAUGHTON . Bafoués, battus, instrumentalisés, souffrant la précarité, les enfants chez Naoki Urasawa sont les reflets de la cruauté du monde adulte, auxuels ils appartiendront eux-mêmes plus tard. L’apothéose de ces portraits est incarnée par le maléfique JOHANN, monstre dressé dans un orphelinat, par une troupe de scientifiques pervers, pour devenir un être dénué d’émotions. AMI, le leader de la secte de 20TH CENTURY BOYS , est également à l’origine un enfant que la douleur et l’abandon, l’indifférence des autres et les mauvais traitements ont transformé en démon nihiliste et sanguinaire. ASTRO est un enfant-robot si chargé d’humanité et d’empathie qu’il se destine à porter, tel un martyr, toute la peine d’un monde que les humains ne peuvent porter seuls. Dans MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES, enfin, la petite fille semble déceler les entourloupes d’IYAMI mais n’arrive pas à convaincre son père, fauché et aux abois, de fuir devant l’escroc qui se présente à eux.

L’IDENTITÉ

L’une des qualités esthétiques les plus visibles d’URASAWA, c’est sa capacité à concevoir une galerie de personnages aux traits reconnaissables, infiniment variés. Face à cette humanité riche et emportée, il existe aussi quelques figures inanimées : JOHANN est doté de deux expressions, tant et si bien que les rares frémissements de ses traits sont de précieux indices pour tenter de comprendre qui il est. AMI , démon au visage masqué, est supposé être l’incarnation adulte d’un enfant dont la légende voudrait qu’il n’avait pas de reflet dans le miroir de l’école. GESICHT, littéralement « visage » en allemand, est un robot au corps solide mais sans mémoire qui s’oppose à PLUTO, robot sans corps mais au passé douloureux. Les visages d’IYAMI dans MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES, et de BILLY BAT dans la série éponyme, fonctionnent, eux, sur des codes si étroitement liés au dessin de bande dessinée que leurs expressions en deviennent indéchiffrables, comme si elles étient le reflet d’âmes insondables. D’ailleurs, le visage de la présidente BEVERLY DUNCAN, dans MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES, est pour le moment toujours invisible, uniquement exposé, à travers les masques en plastique que le héros a commercialisés, créant là encore, chez le lecteur, une perception déshumanisée et indéchiffrable des intentions de ce « monstre » de la politique américaine.

Oubliées ou multiples, les identités des héros d’URASAWA sont fortement marquées par l’ambiguïté. Dans MONSTER, JOHANN et ANNA possèdent plusieurs noms, de même que KENJI dans 20TH CENTURY BOYS. Ces trois personnages, en égarant leurs noms d’origine, ont vu leurs personnalités changer. Leur objectif est de retrouver cet attribut afin de renouer avec l’humanité. PLUTO, s’il n’a pas à proprement parler plusieurs noms, est un cas unique de robot sans corps, consituté d’énergie pure et capable de s’incarner en d’autres, revêtant ainsi leur identité. Ce schéma rejoint celui du gourou AMI, icône masquée derrière laquelle se cacheraient plusieurs personnes. BILLY BAT, enfin, se révèle après quelques albums être une créature duelle. Le BILLY BAT BLANC se range du coté de l’humanité tandis que le BILLY BAT NOIR, au contraire, vise à sa destruction… à moins que ce soit l’inverse, puisque tous deux sont très difficiles à distinguer, au point que le lecteur n’y attive souvent pas. En différant sans cesse la résolution de cette quête identitaire associée au mal, URASAWA a atteint des sommers peu-être inexplorés dans l’art du WHODUNIT – contration de « Who done it ? », que l’on pourrait traduire par « Qui est le coupable ? », qui renvoie par excellence à la tradition du roman policier. L’identité est en effet l’objet d’un questionnement permanent dans son oeuvre, mais URASAWA pousse plus loin le rapport trouble qu’entretiennent les monstres les plus implacables et les sauveurs. Le tueurs es série JOHANN et le DOCTEUR TENMA, à l’instar de KENJI et AMI, d’ASTRO et PLUTO, ou des BILLY BAT BLANC et NOIR, forment-ils le double-visage d’un même JANUS ?

LE SAUVEUR

Selon NAOKI URASAWA, la figure du sauveur est au centre de son écriture. Parfois prophètes, souvent martyrs, ses héros ont tous surmonté les affres d’un passé trouble – la plupaer d’entre eux sont des enfants abandonnés – en se raccrochant à l’amour de leur prochain. Un réflexe diamétralement opposé à celui de leur ennemis, qui, au contraire, se sont fait ronger par la douleur et la rancoeur, au point de s’abandonner de manière quasi obsessionnelle au désir de vengeance. Alors que cette enfance peut engendrer des monstres animés par un désir d’apocalypse, elle fait également naître des héros sublimes, dont le refus de l’injustice est d »cuplé, capables d’une compassion bouleversante qui embrasse toute l’humanité. Comme c’est souvent le cas, les traumatismes de ces enfants ont fait également naître une culpabilité démesurée, presque injustifiée, qui les incite, adultes, à corriger d’une manière quasi obsessionnelle ces erreurs du passé qu’ils n’ont pas réellement commises. Ainsi se nourrit leur sens de la justice.

Le DOCTEUR TENMA court après le tueur qu’il a créé après l’avoir sauvé, enfant, d’une blessure par balle. KENJI poursuit un ancien camaradee de classe qu’il a traumatisé sans le faire exprès durant leurs jeux d’enfants. KEVIN YAMAGATA, le dessinateur de bande dessinée, cherche à s’excuser auprès de l’auteur japonais qu’il aurait plagié inconsciemment. ASTRO, enfin, est l’incarnation parfaite de l’être qio a e sentiment de ne pas avoir rempli son rôle. Robot abandonné par un créateur insatisfait qui cherchait à fabrique un enfant de substitution, à l’image de son fils décédé. ASTRO cherche à prouver sa valeur en devenant le justicier par excellence, prêt à se sacrifier pour la cause des hommes, lesquels expriment un racisme de plus en plus violent envers les robots.

L’HUMANITÉ

Les frontières de l’humanité se dessinent dan le polar MONSTER et le récit de science fiction PLUTO. JOHANN est-il humain ? Quand aux robots, cette interrogation à leur endroit est la préoccupation par excellence de la littérature SF, depuis LEM ou ASIMOV. Par ailleurs, c’est ni plus ni moins la sauvegarde de l’humanité qui se joue dans 20TH CENTURY BOYS. Ainsi, URASAWA cherche constamment à redéfinir la notion d’humanité, à cerner ses frontières, comme pour mieurx réintégrer en son sein ce que la sociéré a voulu en extraire, en vue de mieux spécifier une unicité merveilleuse? BILLY BAT, enfin déploie un programme où l’histoire de l’humanité est intégralement revisitée, depuis les pélerinages de JESUS-CHRIST jusqu’au 11 SEPTEMBRE 2001, en passant par l’assassinat de JOHN F. KENNEDY, le Japon féodal comme celui en reconstruction de l’après Seconde Guerre mondiale. Les frontières de l’humanité, comme la recherche d’identité et le motif du sauveur, restent des thèmes inhérents à l’écriture D’URASAWA.

L’ART

Touchant à l’essence de nombreux personnages, le discours sur l’art se construit chez NAOKI URASAWA autours de trois missions fondamentales. Tout d’abors, c’est un mode d’expression pur et absolu, qui ne doit connaître aucun compromis. Ensuite, sa pratique reste le signe inébranlable de l’humanité chez celui qui s’exprime. Enfin, est là est le point les plus important, l’art excerce une telle influence qu’il est capable d’encourager les hommes à sauver le monde aussi bien qu’à le détruire. L’un des personnages qui incarne avec le plus de flamboyance cette conception est KENJI, grand amateur de rock – le manga dont il est le héros, 20TH CENTURY BOYS, fait référence au titre d’une chansonde T-REX. KENJI s’oppose littéralement, par sa guitare, au gourou millénariste AMI.

JOHANN, le tueur en série de MONSTER, a été conditionné dans sa folie par un auteur de livres pour enfants, et plus particulièrement par l’une de ses oeuvres : « Un Monstre sans nom ». Le robot-tueur PLUTO, dans la série éponyme, s’adonne dans ses moments d’apaisement au dessin, signe que derrière le monstre se cache également une âme sensible. Dans BILLY BAT, enfin, c’est l’humanité tout entière qui est revisitée à l’aune d’une histoire du monde où la bande dessinée aurait été un médium déterminant dans notre évolution.

LES RÉFÉRENCES

Plus encore ques des références, c’esr un véritable labyrinthe intertextuel qui court en filigrane dans l’oeuvre de NAOKI URASAWA, dans la mesure où l’on trouve, autour des intrigues et des thèmes, de très nombreux liens culturels et artistiques. Dans MONSTER, la conclusion douloureuse est empruntée au CHOIX DE SOPHIE de William Styron, livre qui partage certains de ses thèmes avec le manga, comme la dénonciation des dégâts du nazisme sur les générations survivantes et la description d’une enfance bafouée. L’errance du DOCTEUR TENMA rappelle la tradition des séries télévisées comme LE FUGITIF, là où m’horreur et l’angoisse des différents crimes qui parsèment le manga sont directement empruntées au cinéma d’ALFRED HITCHCOCK. Ce type de réct manifeste la colonté de saisir un pays et une époque à travers une galerie de personnages et de situations variés.

Dans 20TH CENTURY BOYS, c’est toute la culture japonaise populaire émergeant dans les années 1960-70 qui est mise à l’honneur, d’ULTRA-MAN à ASHITA NO JOE, comme pour mieux cerner période d’innocence où les familles japonaises, éclatées par la croissance massive et rapide du pays, laissaient leurs enfants se retrouver librement et se repluer dans l’univers naissant des mangas. Dans PLUTO, si l’intrique se place en plein dans l’univers d’ASTRO BOY de TEZUKA, le traitement, lui, fait ouvertement appel à de nombreux personnages et questionnements issus des oeuvres d’ASIMOV et de PHILIPPE K. DICK. BILLY BAT, dans sa version XXe siècle, n’est pas sans évoquer un avatar de Mickey Mouse, puisque les auteurs qui racontent ses aventures connaissent une forme de triomphe proche de celui de WALT DISNEY, dont les traits sont prêtés à un auteur usurpateur du nim de CHUCK CULKIN. Dans le tout récent MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES, enfin, URASAWA fait ouvertement référence au monde de FUJIO AKATSUKA en reprenant le célèbre personnage d’IYAMI. Figure de la culture popuaire japonaise, IYAMI incarne une figure d’escroc loufoque ou nuisible, quand il ne joue pas à l’homme d’affaires. Ses poses carctéristiques et sn célèbre « Sheeh! » sont devenus populaires dès sa création, au point d’être souvent repris par de nombreux artiste et célébrités. Sans oublier, bien évidemment, les multiples références qui sont faites, dans cet album, à la culture fraçaise, et notamment sa vie politique, via les réfécences au passé de FRANÇOIS MITTERRAND.

OZAMU TEZUKA

Pour NAOKI URASAWA, OSAMU TEZUKA est le pendant japonais de WILLIAM SHAKESPEARE : le créateur d’une oeuvre fleuve et fondatrice, écrasante de popularité dès sa parution, et dont l’influence et la modernnité sont toujours d’actualité. Pour beaucoup de Japonais, URASAWA serait le plus proche de ses héritiers spirituels, en raison de cette mécanique narrative fluide qui sait pourtant ne pas tomber dans l’emphase, et sutrout pour l’humanisme grandiose de son regard. Ce n’est sans doute pas par hasard si, depuis ses dévuts, URASAWA ne cesse de se référer aux oeuvres et aux icônes inventées par son mentor pour construire ses univers. TENMA doit ainsi son nom, sa virtuosiré de chirurgien et sa figure métaphorique de « père du monstre » à un personnage d’ASTRO BOY.

En effet, dans la série de TEZUKA, le docteur TENMA était le créateur du petit robot ASTRO, inventé pour remplacer son fils mort dans un accident de voiture. Insatistait par sa création, le génie scientifique sombrait dans la folie. De même, le premier chapitre de MASTER KEATON est construit exactement comme celui de la série BLACK JACK de TEZUKA, où est présenté le célèbre personnage du docteur. Un nouveau cap est franchi avec PLUTO, adapté de l’une des plus célèbres aventures d’ASTRO BOY, parue en 1966. La mythologie d’ASTRO BOY y est réécrite à l’aune des classique de la science-fiction et des préoccupations astistiques d’URASAWA. Avec BILLY BAT, enfin, Naoki Urasawa déclare ni plus ni moins tenter de créer à son tour l’equivalent de PHÉNIX, c’est-à-dire une oeuvre métaphysique qui revient sur l’histoire de l’humanité avec un regard personnel et critique.

LE MAL

Loin de la banalité extrême du MAL chère à HANNAH ARENDT, ses incarnations chez URASAWA sont toujours complexes et grandioses. AMI, le leader de la secte millénariste de 20TH CENTURY BOYS, comme JOHANN, tueur en série impassible de MONSTER, trônent au panthéon de ces demiurges machiavéliques, aux stratégies et aux objectifs pluriels. Ces individualités hors normes, dont l’esprit est animé par l’idée d’un dessein supérieur, se situent toujours dans une perspective plus dionysiaque (chaos, destruction puis recréation) qu’apollinienne (harmonie, discipline, persistance du même), bien que leur motivation soit avant tout ambiguë.

BILLY BAT, entité trouble et duelle, est probablement l’incarnation la plus manifeste de cette schizophrénie, car si l’une de ses incarnations vise à détruire l’humanité, et l’autre à la sauver, les deux entités semblent en permanence échanger leur identité. Enfin, il ne faut pas oublier le célèbre escroc IYAMI, qui promet le pire dès les premiers chapitres de MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES. Sans nom et sans visage, insaisissable et menaçant en permanence l’humanité, Urasawa prosuit une vision personelle du mal, aussi épique sur le plan de la fiction que profondément pertinente et moderne.

LA DICTATURE

Parmi les peurs qui travaillent l’écriture d’URASAWA, la menace de la résurgence des dictatures occupe une grande place. Ce qui explique que la dissidence soit une constante identitaire pour ses héros, de TENMA à KENJI (l’un paye le prix du IIIE REICH, le second doit abattre la tyrannie mise en place par AMI). Il n’est sans doute pas fortuit que l’unit de lieu, dans MONSTER et PLUTO, se situe en ALLEMAGNE, un pays qui a connu le totalitarisme fasciste. Dans PLUTO, d’ailleurs, le combat entre les robots les forts du monde cache en filigrane une lutte de pouvoir qui vise à remettre en place une tyrannie au MOYEN-ORIENT. BILLY BAT, enfin, est une icône de papier qui influence à leur insu les hommes depuis la nuit des temps, exploitant à différentes apoques leurs failles.

Aux XXe siècle, pour parvenir à ses fins, BILLY BAT utilise ainsi les travers de la société de conosommation en déclinant son image de héros de bande dessinée en de multiples dérivés (série télévisée, parc d’attractions …), comme le faisait d’ailleurs le dictateur AMI une fois arrivé au pouvoir dans 20TH CENTURY BOYS. à l’evidence, BILLY BAT use dès qu’il le peut de son influence afin de restaurer la dictature. Urasawa épingle au passage la suprématie culturelle de l’AMÉRIQUE , qui conçoit au XXe siècle son mode de vie comme un outil de _Soft Power_ qui doit évangéliser. Cette critique du pouvoir américain semble d’ailleurs avoir rejailli tout récemment, dans les premieres chapitres de MUJIRUSHI – LE SIGNE DES RÊVES.

LES MURS

C’est celui de BERLIN, _in absentia_, dans MONSTER, ou celui de la nouvelle Tokyo au XXIe siècle. Les murs menacent de diviser le monde et sont mentionnés dès les premières page de 20TH CENTURY BOYS. Ceux de la prison de la LUCIOLE DES MERS, dans la même série, semblent devoir réduire à néant tout espoir d’évasion, d’échappatoire. PLUTO, le robot programmé pour tuer, aime recouvrir les murs de peintures bucoliques pour se détendre. On pourrait aussi songer au quatrième mur, virtuel, qui sépare le monde de la fiction et celui de la réalité, et qui régulièrement détruit par BILLY BAT … Les murs reviennent régulièrement chez URASAWA comme un symbole d’immobilité et d’emprisonnement, à l’échelle non de l’individu mais de la société dans son ensemble. En contrepartie, la libération des hommes passe avant tout par celle des peuples. Un concept qui permet à chaque héros de prendre une dimension de leader politique, voire de messie.

Livres

Exposition Urasawa – Angoulême 2018

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